Suivi de l’évolution des surfaces agricoles par photo-interprétation
Comment concilier la pression démographique et la protection des surfaces agricoles, notamment dans des zones géographiques couvertes par des Appellations d'Origines Protégées (AOP) ? En superposant des images satellitaires et des images aériennes, il est possible de visualiser et d’analyser, année après année, l’évolution des surfaces agricoles et de fournir les éléments nécessaires pour l’élaboration des futurs documents d’urbanisme… Une solution adoptée par la (DDT) de Haute-Savoie (74).
Avec près de 12 000 nouveaux habitants par an, la Haute-Savoie est un département attractif, soumis à une forte pression démographique. Sur un territoire montagnard, au relief marqué, les terres à urbaniser sont rares. Elles le sont d’autant plus en Haute-Savoie qu’une partie des parcelles sont classées en zones AOC (pour le Beaufort, le Chevrotin, le Reblochon de Savoie…). Tout l’enjeu réside alors dans le délicat équilibre à trouver entre la protection des espaces agricoles (alpages, prairies et surfaces maraîchères principalement) et le développement de l’urbanisation.
Pour répondre à ce double enjeu, l’État a instauré, par le décret n° 2015-644 du 9 juin 2015, les Commissions Départementales de la Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (CDPENAF). Ces instances, présidées par le Préfet, jouent un rôle pédagogique essentiel, notamment en émettant des avis sur l’opportunité de certaines procédures ou autorisations d’urbanisme (SCoT, PLU, etc.) au vu de la préservation des terres naturelles, agricoles ou forestières (source : Cerema)
Dans ce contexte à la fois national et local, en tant que membre de la CDPENAF de Haute-Savoie, la DDT 74 a été sollicitée pour mettre au point une méthode d’analyse de l’évolution des surfaces agricoles sur le département.
La méthode / en pratique
Afin d’évaluer l’emprise annuelle de la surface agricole utile (SAU, surface foncière considérée comme exploitée à des fins de production agricole) et apporter des éléments factuels pour nourrir les avis de la CDPENAF, la DDT 74 fournit une cartographie annuelle de la SAU. Cette cartographie s’appuie sur le croisement de données agricoles, d’orthophotographies aériennes (IGN) et d’images satellites (SPOT).
Comme la SAU englobe les surfaces déclarées à la PAC (Politique Agricole Commune), la DDT 74 récupère, grâce au RPG (Registre Parcellaire Graphique), les données communiquées par les exploitants agricoles. Cette donnée source, actualisée chaque année, est enrichie au fur et à mesure des campagnes de télédéclaration. Des surfaces exploitées à des fins agricoles mais non déclarées à la PAC figurent également dans la SAU.
En associant cette donnée à des images aériennes (BD Ortho®, millésime 2015) et à des images satellites (SPOT 6/7, millésimes 2016, 2017 et 2018), le travail manuel de photo-interprétation réalisé par la DDT 74 permet de cartographier les surfaces agricoles ; de distinguer celles qui ont été artificialisées.
La dernière campagne aérienne de l’IGN sur le département datant de 2015, la DDT 74 ne pouvait pas réaliser et actualiser une cartographie annuelle des surfaces agricoles à partir uniquement d’orthophotographies. En revanche, en remplaçant cette BD Ortho® à 50 cm avec des images satellitaires, cette actualisation est rendue possible.
A partir de la couverture annuelle de la France métropolitaine réalisée par les satellites SPOT 6/7, la DDT 74 dispose d’images satellitaires actualisées à 1,5 m. Elle télécharge, chaque automne via Geosud, plusieurs dalles géoréférencées correspondant à son territoire d’intervention.
Le travail de photo-interprétation (réalisé sous QGIS) vise ensuite à caractériser les différentes parcelles ; puis à analyser le territoire et son évolution. Certes, la résolution des images SPOT n’est pas aussi fine que celle de la BD Ortho® mais la cartographie produite permet d’identifier, avec une donnée vecteur, les parcelles agricoles et celles dédiées à l’urbanisation.
Les résultats
Chaque commune dispose annuellement d’un tableau référençant les surfaces agricoles, les surfaces urbanisées… qu’elle peut, en s’appuyant sur ses chargés de mission, mettre en parallèle de ses documents d’urbanisme (SCOT, PLU…). Certaines collectivités demandent également les couches cartographiques correspondantes afin de les inclure directement dans leur SIG.
A ce jour, cette méthode a fait ses preuves ; la DDT 74 et les membres de la CDPENAF sont convaincus de l’intérêt des cartes obtenues. Même s’il est quasi impossible d’en quantifier l’usage par les acteurs privés, la réutilisation de ces données est connue au niveau des services de l’État, des collectivités territoriales et de leurs groupements. Le syndicat mixte du SCoT du bassin annécien est, par exemple, très demandeur des actualisations cartographiques dans le cadre de ses missions d’aménagement.
Sur les problématiques foncières, il y a une exigence sur la précision géographique de l’information attendue par les services d’aménagement et d’urbanisme. Avec une précision à l’hectare voire au demi-hectare, les cartes réalisées par la DDT 74 permettent de limiter les marges d’erreur sur les PLU et SCoT. Cette précision est d’autant plus importante que, lorsque la surface agricole à urbaniser dépasse 2 % de leur surface totale (soit parfois 4 ou 5 hectares), l'avis de la CDPENAF devient un avis conforme. Cela exige une plus forte justification des surfaces à urbaniser et un suivi plus précis des surfaces concernées.
Comme toute technique de photo-interprétation manuelle, cette méthode présente des limites ; il est possible de passer à côté d’un changement de sol. Parfois, il est difficile de faire la différence entre une maison au tout début de sa construction, un dépôt sauvage, une mini-carrière, une zone en friche… Seule la comparaison entre plusieurs photos permet de lever le doute ! D’où la nécessité d’avoir un suivi régulier, au moins annualisé, de cette donnée…
En 2010, pour constituer la toute première cartographie de la SAU du département à partir des déclarations PAC et de la BD Ortho® 2010, il a fallu environ un mois de travail. Le temps de balayer le département, de constituer une couche initiale des SAU incluant des surfaces agricoles non déclarées (les vignes comme les surfaces maraîchères, par exemple, ne sont pas à déclarer)… Avec l’intégration des images SPOT depuis 2016, il faut compter une bonne semaine de travail pour suivre annuellement l’évolution des parcelles, supprimer les espaces qui ont été consommés (nouvelles habitations, équipements, infrastructures…)…
Les avantages et limites de la solution
- Pouvoir récupérer une couverture annuelle avec SPOT 6/7 s’avère un réel atout pour une analyse passée et prospective régulièrement actualisée.
- Cette méthode représente uniquement une semaine de travail pour un technicien à la DDT, et est utilisée pour l’ensemble du département.
- Ce travail de photo-interprétation (réalisé à partir d’une donnée vectorielle de référence, d’une BD Ortho® et d’une image satellitaire) est facilement reproductible pour de multiples thématiques.
Evaluation socio-économique
- La méthode est visuelle : trouver un moyen de l’automatiser permettrait de gagner du temps mais cela s’avère parfois difficile avec les images satellitaires (dates de prise de vue différentes entre deux clichés, décalages géométriques…)
- Tous les produits agricoles n’ont pas la même période végétative : il est difficile de croiser certaines données relatives à des cultures ayant des saisonnalités différentes.
- Pour réaliser ce type de photo-interprétation, Il est nécessaire de coupler images satellitaires et images aériennes. Certaines informations n’apparaîtraient pas avec les seules images satellitaires.