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Détection et suivi des dépôts illégaux de déchets en contexte méditerranéen

La Région Provence-Alpes-Côte d’Azur a exploré l'utilisation de l'imagerie satellitaire pour la détection de dépôts sauvages appel à projets « Données satellitaires au service des territoires », visant à effectuer une preuve de concept (POC).

La méthodologie employée a su s'adapter aux caractéristiques géographiques spécifiques des régions méditerranéennes, incluant des sols calcaires, une végétation de résineux, des zones urbaines denses, ainsi que des dépôts et décharges illégaux importants.

Contexte

Les dépôts illégaux de déchets sont un fléau qui touche tout le territoire français. Près de 90 % des élus locaux se disent concernés, et parmi eux, 45 % se déclarent très préoccupés par ce phénomène (Ministère de la transition écologique - « Guide relatif à la lutte contre les abandons et dépôts illégaux de déchets », Décembre 2020).

Chaque année, environ 1 million de tonnes de déchets sont abandonnés illégalement (Gestes Propres – Dossier de Presse, « 1 million de tonnes de déchets abandonnes en France : gestes propres prend une nouvelle dimension pour relever le défi avec ses partenaires ! » ), avec des impacts dévastateurs sur la qualité de vie, l'environnement, la nature et la santé publique (Ministère de la transition écologique - « Guide relatif à la lutte contre les abandons et dépôts illégaux de déchets », Décembre 2020).

De plus, les frais de nettoyage ou d’enfouissement de ces déchets sont souvent élevés pour les entités impactées par les dépôts illégaux : les autorités publiques, les gestionnaires d’espaces naturels (comme les parcs naturels et l'Office National des Forêts), ainsi que les agriculteurs et les propriétaires fonciers (Ministère de la Transition écologique -, Politiques publiques : Lutte contre les dépôts illégaux de déchets).

Définitions :

Les dépôts sauvages résultent d’abandons délibérés d’un ou plusieurs objets ou produits de la part de particuliers ou d’entreprises, de manière ponctuelle, en dehors des emplacements prévus à cet effet. Ces déchets sont sous la responsabilité par les maires.

Les décharges illégales sont définies comme des « installations professionnelles dont l’autorisation ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) fait défaut ». Ce sont des dépôts importants, organisés et parfois payants. Dans ce cas de figure, seuls les préfets sont compétents pour mettre en demeure les responsables.

Dans le cadre de son plan climat « Gardons une Cop d’avance » adopté en avril 2021, la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur s'engage, à travers son objectif 92, à lutter contre les dépôts sauvages, dont l'impact nuit au développement économique des filières de traitement de déchets et a des effets majeurs sur l’environnement. Conformément à la Loi n°2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (dite loi « AGEC »), les autorités de planification doivent élaborer une synthèse des actions menées pour prévenir et empêcher les abandons de déchets et faire disparaître les dépôts illégaux (article 10 de l’ordonnance n°2020-920 du 29 juillet 2020).

Ces dépôts sauvages sont particulièrement présents sur le territoire de la Région. Effectivement, ils sont estimés à 21 kg par an et par habitant, soit environ 100 000 tonnes de déchets abandonnés chaque année sur le territoire. Leur résorption, qui incombe aux communes, coûte entre 30 et 90 millions d’euros, un coût impossible à supporter via la Taxe d’enlèvement des ordures ménagères.

Les décharges illégales, principalement constituées de déchets de chantier, sont estimées à 2 millions de tonnes par an, entraînant un manque à gagner de 15 à 25 millions d’euros pour les installations légales (LIFE IP Smart Waste, Atelier LIFE 27 – Compte-rendu «Comment lutter contre les déchets sauvages et les décharges illégales ? », Novembre 2019).

 

Photographies d’une décharge illégale dans la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur
Source : LIFE IP Smart Waste, Atelier 14 – Support de présentation « Comment lutter contre les dépôts sauvages et décharges illégales ? », Novembre 2019

Dans ce cadre, l’appel à projets régional « données satellitaires au service des territoires » s’est intéressé aux projets portant sur l'identification des déchets sauvages et des infrastructures illégales en zone méditerranéenne. Cette initiative intéressait à la fois la Région, désireuse de résoudre ces problèmes, et la société lauréate, qui souhaitait entraîner son logiciel à localiser ces éléments dans les spécificités des paysages régionaux. Ces paysages sont caractérisés par un substrat calcaire, un couvert végétal persistant et la présence de nombreuses pistes DFCI (Défense des Forêts Contre l’Incendie), facilitant l'accès aux zones de massifs forestiers. L'appel à projet a permis de mettre en œuvre une preuve de concept opérée sur une période de 6 mois.

Le Service Économie Circulaire et Déchets de la Région a initié en 2021 une collaboration avec le Service Connaissance Territoriale pour évaluer la pertinence d’une géolocalisation des dépôts illégaux par imagerie spatiale en partenariat avec l’équipe de l’Observatoire régional des déchets et de l’économie circulaire (ORD&EC), le Parc de la Ste Baume, la DREAL représentée au Parquet de Marseille, l’HuCA – Huveaune Côtiers Aygalades (Marseille- Aubagne- Septèmes), la Métropole Aix Marseille Provence, le GLTD (Groupe Local du Traitement de la délinquance) Déchets (Parquet de Marseille), la Police Nationale, la Police Municipale de Marseille, le CNES et le Cluster SAFE.

La méthode / en pratique

Cette méthodologie repose sur l'utilisation d'images satellites optiques à très haute résolution, en particulier les images Pléiades offrant une résolution de 50 cm. Elles sont ensuite traitées à l'aide d'algorithmes d'intelligence artificielle. Les résultats de ces traitements sont intégrés dans un système d'information géographique, où ils apparaissent sous forme de pins géolocalisant les sites pollués.

Capture d’écran de la plateforme de détection des dépôts de déchets illégaux utilisé par la Région PACA

L’outil est capable de détecter un dépôt à partir d’une surface d’environ 5 m², ce qui correspond à la taille d’un matelas deux places.

Capture d’écran de la plateforme de détection des dépôts de déchets illégaux utilisé par la Région PACA

L’architecture de l’IA est composée de deux modèles. Le premier modèle effectue de la segmentation sémantique (lorsqu’une IA analyse une image et classe chaque pixel de cette image en différentes catégories) au niveau pixel et fournit un seuil de confiance sur la probabilité qu’un pixel soit un pixel de déchets. En seuillant sur un nombre de pixels voisins ayant tous une confiance au-delà de ce seuil, les candidats sont préparés pour l’étape de classification suivante.

Le deuxième modèle prend en compte un contexte plus large pour reconnaître des motifs issus de la couverture des sols.

Une fois l’ensemble des candidats validés par le modèle de classification, des regroupements de pixels sont déterminés de manière algorithmique pour créer une pile de déchets cohérente, relative à l’étendue des déchets au sol, afin de lui attribuer un identifiant unique.

Cette étape est cruciale pour éviter de créer trop de piles indépendantes ou, à l’inverse, une seule pile à partir de zones disjointes, facilitant ainsi la gestion des déchets. Une fois cette pile constituée, la surface, uniquement sur les pixels actifs, est calculée et le volume est estimé.

Capture d’écran de la plateforme de détection des dépôts de déchets illégaux utilisée par la Région PACA

Le résultat de ces traitements est ensuite intégré dans un système d’information géographique pour localiser les piles de déchets sur le territoire. En plus des informations sur la surface, le volume aux différentes dates d’observation et la parcelle cadastrale, une approche collaborative est proposée. Les piles sont associées à un cycle de vie pour permettre de rendre compte de leur traitement dans la plateforme. Il est également possible d’associer des documents comme des photos des dépôts ou des devis pour l’évacuation.

Les utilisateurs peuvent aussi commenter ou formuler une demande d’action à un tiers, qui sera notifié par mail avec un lien renvoyant à la pile concernée.

Enfin, le réseau hydrographique est intégré afin de calculer la distance à un cours d’eau le plus proche, permettant de prioriser les actions en fonction des risques pour la ressource en eau.

Les résultats

Les différentes images Pléiades combinées à l’intelligence artificielle ont permis d’identifier 772 sites signalés comme potentiels dépôts sauvages ou décharges illégales en 6 mois.

Images satellitaires Pléiades des dépôts détectés par l’algorithme en Région PACA

L’outil a permis, en s’adaptant aux spécificités géographiques méditerranéennes, de détecter des dépôts sauvages en nature qui sont difficiles d’accès tel que dans les zones naturelles ou les pistes forestières, mais également de détecter les installations illégales.

Ces sites de déchets détectés sont regroupés sur une plateforme collaborative qui permet de diffuser l’information à tous les acteurs intéressés (le Maire, la DREAL, la DDT, le Parc de St Baume, etc.) facilitant la communication entre les niveaux pour optimiser l’évacuation des déchets.

Ce site répertorie :

  • Une photo prise sur le terrain par les patrouilles dédiées à cette mission.
  • Le volume et la date des dépôts, permettant de suivre l’évolution de la surface dans le temps.
  • Le statut de la prise en charge et le statut ICPE, ainsi qu’un espace de discussion pour s’informer sur l’évolution de celle-ci.
  • La proximité à un cours d’eau, pour prioriser les interventions et réduire les risques environnementaux.
  • La proximité aux permis de construire ou de démolir.
  • La localisation et la distance à une ICPE (Installation Classée pour la Protection de l'Environnement).

Les avantages et limites de la solution

Avantages :

  • Couverture géographique étendue et cartographie rapide : La solution offre une couverture géographique large et permet une cartographie rapide et précise, facilitant ainsi l'identification des zones problématiques.
  • Plateforme intuitive : L'interface de la plateforme est simple et rapide à prendre en main, ce qui permet aux utilisateurs de commencer à l'utiliser efficacement sans besoin de formation approfondie.
  • Détection automatisée et préventive : La détection automatisée permet d'identifier rapidement les activités illégales. Cela permet aux forces de l'ordre d'intervenir rapidement pour stopper l'activité ou de collecter des renseignements pour remonter jusqu'aux organisateurs.
  • Efficacité avec deux passages annuels : Deux passages par an pourraient suffire pour mener un plan de lutte efficace et repérer les dépôts difficiles d’accès.
  • Adaptation aux spécificités géographiques méditerranéennes : L’outil s’est adapté aux caractéristiques géographiques spécifiques telles que les sols calcaires, la végétation de résineux, les zones urbaines denses et les dépôts illégaux importants.

Limites :

  • Qualité des images satellitaires : La capacité d’acquisition des images dépend des conditions météorologiques, avec un seuil d’acceptation de la couverture nuageuse fixé à 20%.
  • Priorisation des zones et fréquence de surveillance : Il est crucial de prioriser les zones à surveiller et de définir une fréquence annuelle pour optimiser les coûts d’acquisition des images.
  • Classification et volumétrie des dépôts : La résolution des images ne permet pas actuellement de déterminer le type de déchet (gravats, pneus, électroménager, etc.) et la volumétrie des déchets peut être surestimée ou sous-estimée.

Evaluation socio-économique

  • Amélioration de la productivité : L'automatisation et l'optimisation des processus de collecte et d'analyse des données environnementales réduisent la dépendance aux méthodes manuelles, libérant ainsi des ressources humaines pour d'autres tâches et augmentant la productivité globale des équipes.
  • Bénéfice environnemental : Grâce à la détection précoce des activités illégales et à l'intervention rapide, les équipes peuvent minimiser les atteintes à l'environnement. Cela contribue à une meilleure gestion de l'environnement, à la préservation de la biodiversité et à l'amélioration de la qualité de l'environnement.
  • Optimisation de la lutte préventive : Le repérage précis des dépôts sauvages permet de mieux prévenir ces dépôts et de quantifier le phénomène. Ce repérage et cette quantification facilitent la mise en place de politiques environnementales plus efficaces, aidant à prévenir les dépôts illégaux et à optimiser les ressources allouées à ces tâches.
  • Méthode reproductible et transférabilité : La méthodologie peut être facilement transférée et partagée entre différents utilisateurs et institutions grâce à la plateforme, favorisant la collaboration et la mutualisation des ressources pour une gestion plus efficace de l'environnement.
  • Effet dissuasif : L'amélioration significative de l'efficacité des forces de sécurité et la prise de conscience des criminels quant aux technologies utilisées réduiront progressivement l'attractivité financière des trafics en raison des risques accrus.

Dispositif de financement utilisé

Analyse coûts/bénéfices

Le responsable de l’Unité études et projets dans le service Économie circulaire et déchets de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, estime suite à l’expérimentation que deux passages du satellite par an suffisent pour mener un plan de lutte efficace et repérer les dépôts difficiles d’accès. Il estime également qu’il est nécessaire de prioriser les zones à surveiller pour éviter des coûts trop importants. Ainsi, la Région a décidé de se concentrer principalement sur les zones naturelles difficilement accessibles, en mettant de côté les sites présentant un faible risque de dépôts ainsi qu'un impact environnemental et sanitaire limité, représentant une surface de 750 km².

Concernant les coûts de mise en place de cette technologie, les images satellitaires sont acquises via le dispositif Dinamis, qui propose les images Pléiades en programmation prioritaire à 2 €/km². La zone couverte par le dispositif représentant 750 km², la Région a dépensé 1 500 € pour l’acquisition des images, ayant déjà utilisé leur quota d’images gratuites au cours de l’année.

La société lauréate propose un tarif allant de 53 € à 25 €/km² pour l’analyse des images, un tarif dégressif en fonction de la surface analysée. Le forfait d’analyse annuel propose les mêmes prix, ce qui signifie que le prix de l’analyse des images reste constant, que la surface soit analysée une fois par an ou tous les mois, hors coût d’achat des images.

 

Le coût total du projet pour la Région Sud a été de 67 500 €, en prenant en compte les moyens humains.

 

En décembre 2021, un incendie majeur a ravagé le site de Recyclage Concept 13 à Saint-Chamas, où étaient stockées 15 000 tonnes de déchets au lieu des 1 000 tonnes prévues, causant une pollution importante et des coûts de gestion élevés, estimés entre 3 et 4,5 millions d'euros.

La détection préventive, en utilisant des données satellitaires, permet d'éviter des coûts de réhabilitation similaires pour d'autres sites, en intervenant rapidement, avant que les situations ne se dégradent.

Dispositif de financement utilisé

Ce dispositif a été mené suite à un AAP de la Région intitulé « Données satellitaires au service des territoires ».

Dans ce cadre, la Région a fait appel à une entreprise privée et a acquis les images Pléiades via le dispositif Dinamis.

Transférabilité

Une fois les dépôts sauvages détectés, ils sont cartographiés et mis en libre accès pour les acteurs publics concernés via une plateforme collaborative. Cette plateforme, dont le code algorithmique est la propriété de l’entreprise porteuse du projet, permet notamment de suivre l’avancement de la prise en charge des dépôts.

De plus, cette méthodologie peut facilement être déployée dans d'autres régions, en acquérant de nouvelles images par le biais du catalogue Dinamis et en utilisant les services de l'entreprise, disponibles soit par abonnement annuel, soit selon la surface en kilomètres carrés des images traitées.

Perspectives

Bien que l’expérimentation dans le cadre de l’appel à projets « Données satellitaires au service des territoires » ait été fructueuse, la Région n’a pas encore identifié de structure porteuse pour s’approprier et pérenniser une telle application. Cela aurait pourtant bénéficié à de nombreux acteurs. Le plan de lutte contre les dépôts sauvages lancé en octobre 2023 par la Région permettra de poursuivre la dynamique de coopération des acteurs.

La plateforme est actuellement utilisée de manière permanente par le département du Val-d’Oise, en collaboration avec les forces de l’ordre. (Voir fiche Applisat déchet).

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Mots clés

Contact
Acteur :
De Cazenove Arthur : Région Provence-Alpes-Côte d’Azur – Service Economie Circulaire et Déchets - Hôtel de Région 27 place Jules Guesde 13481 Marseille cedex 20