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Suivi des dégâts dus aux scolytes dans les pessières et les sapinières du Nord-Est

A la demande du Ministère chargé des forêts, INRAE Montpellier a mis au point une méthode et une chaîne de traitement d’images satellitaires afin de détecter la mortalité et les anomalies de végétation en forêt. Cet outil permet de suivre les dégâts dus aux scolytes, des insectes, dans les peuplements d’épicéas et de sapins du Nord-Est de la France depuis le début de la crise sylvo-sanitaire en 2018.

Ce suivi cartographique est utilisé par les services forestiers de l’Etat et les établissements publics en charge des forêts publiques et privées. Ces cartographies sont également consultables sur un guichet spécialement créé pour la circonstance. Des développements sont en cours afin d’élargir le spectre de télédétection des problèmes sylvo-sanitaires de l’outil.

Contexte

Créé en 1989, le Département santé des forêts (DSF) du Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a pour mission la surveillance et la veille sanitaires des forêts françaises. Pour cela, il s’appuie sur un réseau de correspondants-observateurs, principalement des agents forestiers de l’ONF, du CNPF et des services forestiers de l’Etat, qui identifient les problèmes sanitaires dans l’ensemble des forêts métropolitaines.

De façon complémentaire à ces observations sur le terrain, le DSF développe l’utilisation de la télédétection pour le suivi de la mortalité et des dépérissements en forêt comme dans le cadre particulier de la crise provoquée par les attaques de scolytes (des insectes de l’ordre des coléoptères) dans les pessières et les sapinières du Nord-Est de la France depuis 2018. En effet, les scolytes de l’épicéa et, dans une moindre mesure, ceux des sapins ont commencé à pulluler suite à des tempêtes suivies de sécheresses et de canicules en 2018, 2019, 2020 et 2022.

Ces événements climatiques ont, d’une part, stressé les arbres les rendant plus sensibles aux scolytes et, d’autre part, favorisé le développement de ces insectes thermophiles. Une spirale infernale s’est alors enclenchée entrainant la mort de plusieurs dizaines de milliers d’hectares de peuplements d’épicéa sans que les forestiers puissent enrayer véritablement le phénomène malgré les mesures préventives entreprises.

Parmi les différentes espèces de scolytes, le typographe de l’épicéa est sans conteste le plus ravageur. Du fait du rôle essentiel des températures élevées dans la crise, le phénomène est clairement lié au dérèglement climatique.

Devant la soudaineté de la crise, le Ministère chargé des forêts a d’abord fait appel à des sociétés privées afin de disposer de premiers bilans cartographiques obtenus par traitement d’images satellitaires (années 2018 et 2019).

De façon concomitante, un accord a été convenu avec INRAE (en fait Irtsea au moment du lancement) afin de disposer également d’une méthode de télédétection fiable et utilisable en routine par les services publics forestiers (DSF, ONF, CNPF) dans différents contextes sylvo-sanitaires.

Le Ministère chargé des forêts a également souhaité que les développements s’appuient dans la mesure du possible sur des images facilement accessibles et gratuites comme peuvent l’être les images Sentinel du programme Copernicus de l’Agence Spatiale Européenne (ESA).

La méthode / en pratique

Compte-tenu de la dynamique rapide du phénomène – la mortalité des arbres intervient un mois tout au plus après l’attaque des insectes – et de l’ampleur des dégâts – les scolytes attaquent des bouquets d’arbres généralement de plusieurs ares –, les images Sentinel-2 du programme européen Copernicus ont été retenues du fait de leur richesse spectrale et de leur fréquence d’acquisition (prise systématique tous les cinq jours).

Afin de mettre au point la méthode, il a été nécessaire de fournir à INRAE des données de référence géolocalisées. Ces données ont été produites par le DSF, l’ONF et le CNPF en 2018 et 2019 selon un protocole harmonisé à partir d’observations sur le terrain mais également par photo-interprétation de photographies aériennes. En effet, les foyers de scolytes sont bien visibles sur la BD Ortho IRC de l’IGN quelques semaines après l’attaque. Chaque référence comportait l’essence (épicéa, sapin, pin, autres résineux) et la composition du peuplement (peuplement pur vs mélange d’essences) ainsi que le stade de développement de l’attaque des scolytes (peuplement indemne, scolyté vert ou attaque récente, scolyté rouge ou attaque de quelques semaines, scolyté gris ou attaque ancienne, peuplement coupé).

Les références étaient géolocalisées sous la forme de polygones ou de cercles caractérisés par leur centre et leur rayon. Ces références étaient finalement mises à disposition des partenaires du projet et de INRAE dans un guichet scolytes mis en place à l’occasion de cette crise dans l’espace collaboratif IGN. Ce guichet a également pour objectif d’héberger les cartographies obtenues par traitement d’images à la fin du processus.

Du point de vue méthodologique, la première tâche a été de rechercher l’information contenue dans les images la plus pertinente pour détecter les foyers de mortalité le plus précocement possible. L’analyse approfondie a montré que l’indice le plus pertinent correspond à une combinaison d’informations issues de la réflectance dans des bandes spectacles situées dans le domaine proche infrarouge (PIR), qui se décompose en deux sous-domaines, définis en anglais comme NIR pour near infrared, et SWIR pour shortwave infrared. Cette reflectance SWIR de la canopée est notamment sensible à la teneur en eau de la végétation. Un indice de végétation original, baptisé CRSWIR (‘Continuum removal SWIR’), a alors été mis au point.

Le comportement annuel de cet indice est ensuite modélisé selon une fonction périodique (modèle harmonique). Un modèle est calculé pour chaque pixel de l’image sur une période pendant laquelle les peuplements sont considérés comme sains. Dans le cas de la crise scolytes dans les peuplements résineux du Nord-Est, les années 2016 et 2017 ont été retenues pour cette modélisation qui est réalisée après avoir écarté les pixels sous couvert nuageux. La mortalité ou plus généralement les anomalies de végétation sont ensuite recherchées parmi les pixels qui s’écartent beaucoup du modèle au cours des années ultérieures (donc à partir de l’année 2018).

Un pixel est classé en anomalie à partir du moment où son indice s’éloigne beaucoup du modèle pour trois images consécutives. L’importance de l’écart au modèle permet de créer plusieurs classes d’anomalies (anomalies plus ou moins fortes). Enfin, un masque basé sur la cartographie forestière IGN a été utilisé (BD Forêt©) afin de procéder aux détections des foyers de scolytes au sein des pessières et, plus secondairement, des sapinières (figure 1).

Graphique de statistiques

Figure 1 : évolution et modélisation de l’indice de végétation CR_SWIR pour deux pixels situés dans un peuplement sain (gauche) et dans un peuplement scolyté (droite)

Les résultats

La méthode de détection de la mortalité et des anomalies de végétation a fait l’objet d’un développement informatique sous la forme d’une bibliothèque libre en langage Python baptisée FORDEAD (FORest DEgradation And Dieback, https://gitlab.com/fordead).

Cette chaîne permet de traiter l’ensemble des pessières et des sapinières du Nord-Est (120 000 km² de territoire) ce qui représente 21 tuiles Sentinel-2.

La chaîne de traitement produit des fichiers vectoriels de polygones comportant deux informations attributaires : date de détection de la première anomalie et classe d’anomalie qui constitue en fait un indice de confiance. Ce niveau de confiance est par exemple très élevé pour les anomalies fortes. INRAE a produit ces cartographies à 6 reprises au cours des années 2021 et 2022 (mois de juillet, septembre et novembre).

Ces cartographies comportant toutes les détections depuis 2018, date du début de la crise, ont été remises au DSF, aux DRAAF des 3 régions concernées (Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes), à l’ONF, au CNPF et aux laboratoires de recherche intéressés. Afin de pouvoir visualiser les cartographies sans utiliser un SIG, les résultats les plus fiables ont également été déposés sur le guichet scolytes de l’espace collaboratif IGN (figure 2).

Des synthèses des surfaces détectées par commune et par période ont également fait l’objet de publications (figure 3). Les résultats ont enfin fait l’objet de croisements avec d’autres couches d’information géographique (limites administratives, sylvo-éco-région, base de données altimétriques de l’IGN) ce qui a notamment permis de mettre en évidence que les attaques se produisent de plus en plus haut en altitude.

Figure 2 : diffusion des résultats sur le guichet scolytes (espace collaboratif IGN). Rouge : mortalité ; orange : moyennes anomalies de végétation et bleu : sol nu après anomalie (coupe sanitaire). Exemple au cœur du Morvan

Diffusion des résultats sur le guichet Scolytes

Figure 3 : surface des dégâts dus aux scolytes par commune et par année biologique (période du 1er juin de l’année N au 31 mai de l’année N+1)

animation

 

Les avantages et limites de la solution

La détection de la mortalité et des anomalies de végétation en forêt à l’aide de la chaîne de traitement FORDEAD présente plusieurs avantages. Comme il s’agit d’une chaîne de traitement automatique, elle nécessite assez peu d’intervention humaine pour la production. Comme la chaîne FORDEAD et les images Sentinel-2 qu’elle utilise sont libres, le coût d’utilisation est faible.

La résolution de la cartographie est celle des images Sentinel-2 soit 10 mètres ce qui est une précision tout à fait intéressante pour les forestiers. Comme les images sont acquises tous les 5 jours, la précision temporelle est également bonne même s’il convient de prendre en compte la nébulosité qui peut diminuer fortement cette fréquence dans les faits. Il n’en reste pas moins que l’outil permet une excellente caractérisation de la dynamique spatio-temporelle des dégâts. Enfin, il est possible d’envisager une utilisation pour d’autres peuplements résineux (douglas, pins) mais l’outil doit alors être calibré en conséquence (choix de l’indice de végétation et des seuils de détection).
La chaîne FORDEAD présente naturellement certaines limites.

Tout d’abord, d’autres phénomènes que la mortalité ou les dépérissements peuvent être à l’origine de changements importants de l’indice de végétation retenu. C’est notamment le cas des interventions sylvicoles comme les coupes, qu’elles soient fortes (coupes rases) ou partielles (éclaircies). Ceci peut être la cause de sur-détections toutefois limitées par la possibilité offerte par l’outil de distinguer le sol nu et donc in fine les coupes rases. L’indice de végétation CR_SWIR est également sensible à d’autres phénomènes comme les fructifications abondantes des épicéas ou le stress hydrique ce qui est également source d’erreurs. Ensuite, nous ne disposons pas d’une cartographie précise des essences forestières.

L’utilisation de la BD Forêt comme masque est également sources d’omissions car les peuplements comportant l’épicéa en mélange avec d’autres essences sont mal connus. Cette méconnaissance des peuplements d’épicéa conduit à une sous-estimation des dégâts évaluée à 35% environ. Toujours du fait du masque, il n’est pas possible de distinguer spécifiquement les épicéas et les sapins, ces deux essences étant regroupées dans le même thème pour les forêts pures.

Du point de vue technique, les traitements FORDEAD sont lourds puisqu’ils nécessitent des séries chronologiques longues d’images Sentinel-2. Le corollaire est la nécessité de disposer de capacités informatiques importantes. Enfin, une formation à l’outil peut être nécessaire même s’il existe un tutoriel très détaillé.

Evaluation socio-économique

Aucune évaluation socio-économique n’a été réalisée à ce stade puisque l’outil n’est pas totalement stabilisé et que de nouveaux développements sont en cours. Il est tout de même possible à ce jour d’établir un premier bilan qualitatif. Parmi les coûts, il convient tout d’abord de mentionner celui des trois appels d’offres lancés par le Ministère chargé des forêts au début de la crise ainsi que le coût des développements méthodologiques INRAE. Le Ministère a également accordé un financement à l’IGN pour la mise en place du guichet scolytes. A cela, il convient de rajouter l’autofinancement du DSF ainsi que celui des autres partenaires (ONF, CNPF) qui correspond essentiellement à du temps de travail et des déplacements.

Dans la colonne des bénéfices, on peut indiquer que les forestiers disposent désormais d’un outil d’aide à la prospection des peuplements attaqués ce qui permet d’optimiser la lutte préventive contre ces ravageurs comme l’exploitation des arbres attaqués et la neutralisation des insectes par écorçage et sortie rapide des arbres infestés en dehors des forêts vulnérables. Ce suivi permet également la localisation et la quantification (surface, volume) des peuplements ruinés ce qui constitue une information précieuse dans la perspective de leur reconstitution. Il s’agit donc d’un outil pour la politique forestière. Enfin, les forestiers disposent désormais d’un moyen pour suivre la santé des forêts dans leurs missions de routine.

Dispositif de financement utilisé

Jusqu’à présent les développements ont été financés par le Ministère chargé des forêts qui a été accompagné par ses établissements publics forestiers (ONF, CNPF) et INRAE. Les financements du Ministère se sont traduits par des appels d’offres et des conventions avec INRAE et l’IGN. Les développements méthodologiques futurs devraient être soutenus par le Cnes dans le cadre de l’appel à propositions de recherches TOSCA.

Il est également intéressant de signaler que ce projet a été à l’origine de la création du Centre d’expertise scientifique « Changements et santé des forêts tempérées » au sein du pôle thématique surfaces continentales Theia et que cette action a été reprise dans les conclusions des Assises de la forêt et du bois. Ceci ne constitue pas une source directe de financement mais apporte davantage de visibilité au projet.

Transférabilité

La chaîne de traitement FORDEAD est libre et richement documentée. Tout un chacun peut donc se l’approprier ceci d’autant plus qu’elle s’appuie sur des images également disponibles gratuitement. Dans le cadre des accords avec le Ministère chargé des forêts, INRAE a assuré la formation à l’outil en 2021 auprès d’une vingtaine d’agents du DSF, de l’ONF, du CNPF et d’agents de l’Etat et une nouvelle formation est prévue.

La chaîne de traitement FORDEAD fait l’objet d’une maintenance corrective et évolutive et d’améliorations en permanence. L’outil continue d’évoluer afin de pouvoir être utilisé dans d’autres contextes sylvo-sanitaires que celui des dégâts dus aux scolytes des épicéas et des sapins. L’utilisation de FORDEAD pour d’autres résineux est à l’étude (pins, douglas) ainsi que son adaptation aux problèmes des peuplements feuillus. Des études sont en cours pour l’utiliser dans le cadre des dépérissements du hêtre et du châtaignier par exemple.

Ces évolutions concernent par exemple l’utilisation d’autres indices de végétation, la prise en compte de la saison de végétation, tout particulièrement pour les feuillus, et le paramétrage des seuils de détection. Dans l’hypothèse où l’outil serait jugé suffisamment fiable par les utilisateurs, il pourrait devenir un service dans le cadre du Centre de données d’observation et de services (CDOS) Theia.

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Acteur :
Ministère chargé des forêts, Département santé des forêts