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Crises majeures : comment mobiliser l’imagerie satellitaire ?

Rapidement mobilisables, offrant une vue synthétique ou détaillée selon les besoins, les images satellitaires sont des alliées précieuses dans la prévention, la gestion et l’analyse des crises majeures. Crues, submersion marine, tempêtes, feux de forêts, crises humanitaires… Beaucoup d’événements sont visibles depuis l’espace. Encore faut-il savoir où trouver les bonnes ressources. Voici comment s’y retrouver.

Cartes Copernicus EMS (Source : ESA)
Cartes Copernicus EMS (Source : ESA)
Descriptif

Aujourd’hui, deux dispositifs principaux permettent aux acteurs du territoire d’accéder à de l’information satellitaire en cas d’urgence, l’un est de portée mondiale, c’est la Charte internationale « Espace et catastrophes majeures », et l’autre européenne, « Copernicus Emergency Management Service ». Mais pour des événements de moindre ampleur, qui ne donneraient pas lieu au déclenchement de ces dispositifs, il est toujours possible de commander des images et des prestations de cartographie rapide dans le secteur privé, en attendant un dispositif national, souvent discuté mais toujours pas mis en place.

Services et produits

La Charte internationale Espace et catastrophes majeures

Entrée officiellement en vigueur en novembre 2000, la Charte internationale « Espace et catastrophes majeures » a été créée à l’initiative des agences spatiales française (CNES), européenne (ESA) et canadienne (CSA). Elle rassemble aujourd’hui 17 agences dans le monde entier et permet de mobiliser une trentaine de satellites civils et commerciaux en cas de besoin, offrant ainsi une palette inégalée de résolutions et de types de capteurs. Chaque opérateur s’est engagé à mobiliser en urgence les ressources de ses capteurs et à les mettre à disposition gratuitement pendant la phase de réponse à l’urgence. Elle est déclenchée par les services civils des pays concernés ou par l’ONU directement. Elle a célébré sa 600e activation en mars 2019.

La Charte a été activée une quinzaine de fois sur le territoire national, à la demande du Centre Opérationnel de Gestion Interministériel des Crises (COGIC) du ministère de l’Intérieur, seul utilisateur autorisé en France.

La dernière opération à l’initiative du COGIC concerne l’évaluation des dégâts à la suite du passage de l’ouragan Hola en mars 2018 sur la Nouvelle-Calédonie où des données Pléiades ont été mobilisées.

Un exemple de produit cartographique réalisé par le Sertit à la suite des acquisitions Charte (extension de la crue à Lamalou-les-Bains en 2014.)
Un exemple de produit cartographique réalisé par le Sertit à la suite des acquisitions Charte (extension de la crue à Lamalou-les-Bains en 2014.)

 

Copernicus Emergency Management Service

Lancé en 2012, « Copernicus Emergency Management Service » alias Copernicus EMS est la composante urgence du programme européen d’observation de la Terre Copernicus. Elle s’appuie sur les ressources satellitaires européennes (dont bien sûr, les satellites Sentinel mais également Pléiades, SPOT 6/7…). À la différence de la Charte, Copernicus EMS propose avant tout des produits cartographiques, qui s’appuient sur les images satellites, même si ces dernières sont également diffusables aux acteurs publics intéressés. Depuis 2014, 265 activations sont référencées, dont une vingtaine sur la France.

Copernicus EMS se divise en deux services de cartographie à la demande, et en trois services d’indicateurs de suivi et d’alerte précoce pour les inondations, feux de forêt, sécheresse.

La cartographie à la demande fournit deux types de services complémentaires :

  • Rapid Mapping, pour une cartographie rapide des zones touchées par un événement majeur, en appui à la gestion de crise, selon un portfolio de produits standards. Le déclenchement du service est immédiat une fois la demande acceptée, les produits sont reçus sous quelques jours. Par contre, l’activation ne dure que le temps de la crise (durée moyenne : 3 à 5 jours).
  • Risk & Recovery mapping, pour un suivi à plus long terme de territoires spécifiques, post-crise ou pour de la prévention de risque. Dans le cas post-crise, ce service permet de définir des besoins spécifiques en cartographie, avec des réalisations s’étalant sur plusieurs semaines ou mois. C’est par exemple dans ce cadre que l’observatoire de la reconstruction de l’ile de Saint Martin est régulièrement alimenté en images Pléiades (voir fiche gestion de crise : évaluation des dégâts). Depuis fin 2019 Risk & Recovery Mapping inclut une nouvelle composante (« early recovery ») de suivi immédiat post-crise, cette fois avec un portfolio de produits standards, prenant le relais du Rapid Mapping afin de garantir la continuité des observations. Risk & Recovery Mapping peut également aider à la prévention des risques et crises, via des cartographies de zones vulnérables. À l’exception du volet « early recovery », la mise en route de ce service prend plus de temps (quelques jours à quelques semaines) mais il peut être envisagé sur une longue période (plusieurs mois).

Les produits EMS (Rapid Mapping et Risk & Recovery Mapping) sont généralement proposés à plusieurs échelles (vue d’ensemble de la zone et zooms). Ils sont mis en ligne après validation sur le site de Copernicus EMS sous forme de PDF. Les données vectorielles qu’ils représentent (sans le fond image) sont accessibles sous forme de fichiers Shape et KMZ. Par contre, les données sources ne sont diffusées qu’au COGIC, mais peuvent être communiquées sur demande expresse aux acteurs institutionnels dans certains cas.

Une extension de crue en Allemagne (Source : Copernicus)
Une extension de crue en Allemagne (Source : Copernicus)

 

Modalités d'accès et accompagnement

Accès aux données de la Charte internationale Espace et catastrophes majeures

Les demandes émises par le COGIC sont analysées et validées en moins d’une heure par le secrétariat exécutif de la Charte. Immédiatement après, un opérateur d’astreinte est chargé de lancer les acquisitions les plus appropriées (résolution compatible avec le phénomène observé…) selon des scénarios standards. Souvent, plusieurs satellites sont mobilisés de façon à obtenir une image optique exempte de nuages, ou des images radar et parfois, aucune image ne peut être obtenue avant plusieurs jours. Les acquisitions durent le temps de la phase de « réponse à l’urgence » de la crise, aussi longtemps que la protection civile est mobilisée et exprime des besoins en information. Des archives récentes sont également mises à contribution, si nécessaire.

En France, le CNES finance la création de produits cartographiques directement exploitables, réalisés à partir des images ainsi acquises, qui sont mis à disposition quelques heures après la réception des images (production en moins de 6 heures). L’opérateur de cartographie rapide fournit des cartes de référence (situation avant la crise), des cartes qui caractérisent l’intensité du phénomène (extension de crue par exemple) ainsi qu’une première approche sur l’importance des dommages (secteurs détruits par exemple).

Un portail cartographique permet d’accéder aux informations de contexte ces activations (zones, acteurs, vignettes des images acquises, produits, etc.), et les images elles-mêmes sont mises à la disposition des intervenants en lien avec la sécurité civile (autorités locales, ONG, intervenants de terrain, cabinets ministériels…). Les produits cartographiques finalisés sont cependant disponibles sous forme de posters PDF sur le site de la Charte.

Sur le site de la Charte internationale Espace et catastrophes majeures, il est possible de découvrir les images acquises lors d’une activation (Ouragan Maria)
Sur le site de la Charte internationale Espace et catastrophes majeures, il est possible de découvrir les images acquises lors d’une activation (Ouragan Maria)

 

Accès aux données Copernicus EMS

En France, le COGIC est le seul organisme autorisé à déclencher les services Copernicus EMS en cas de crise, ce qui peut l’amener à arbitrer entre la mobilisation de la Charte ou de Copernicus, de plus en plus sollicité sur l’Europe.

Le COGIC remplit un formulaire détaillé, puis les demandes sont analysées par le centre européen de gestion de crise (European Response Crisis Centre, à la DG ECHO) qui en évalue la faisabilité technique, la sensibilité politique (pas de conflit avec des opérations militaires), la capacité de production selon l’intensité de l’événement.

La demande peut être décrite de façon à prendre en compte les besoins locaux, tout en s’appuyant sur un portfolio de familles de produits cartographiques. L'utilisateur qui a saisi le COGIC peut par exemple demander des informations sur la topographie de la zone sinistrée, les caractéristiques des réseaux de transport, du chevelu hydrographique, de l’occupation des sols. De plus, les utilisateurs peuvent mettre à disposition des informations complémentaires (exemple : prises de vues aériennes, données topographiques).

Les acquisitions d’images sont gérées par Airbus Defence & Space et un consortium d‘entreprises européennes assure la création des produits cartographiques, piloté par e-GEOS, auquel participent en France les sociétés SIRS et le SERTIT. Trois types de produits sont alors proposés : des cartes de référence qui représentent la situation avant la crise, des cartes de zonage (« delineation maps ») qui délimitent l’extension spatiale du phénomène (et temporelle si l’utilisateur demande un suivi de l’évolution de la catastrophe), et des cartes de niveaux de dommage (« grading maps ») qui évaluent le niveau et la répartition des dommages.

Les délais de production des cartes ne sont pas les mêmes selon les produits et les niveaux de précision. Les premières cartographies peuvent être réalisées dans un délai de 3 heures après la réception des images. La plupart des cartographies sont réalisées en 4 à 6 heures après réception de l’image. Si la Charte a également été déclenchée, les images acquises dans ce cadre viennent alimenter les services de cartographie rapide.

Extension de crue en Bretagne (Source : Copernicus)
Extension de crue en Bretagne (Source : Copernicus)

 

  • Si la description des besoins peut être assez détaillée dans le cadre de Risk and Recovery Mapping (et inclut les notions de temporalité), une fois la demande acceptée, elle est traitée et interprétée par le centre de recherche spatial européen (JRC).
  • Si la demande concerne du Early Recovery, le contractant sélectionné réalise les travaux immédiatement après acceptation de l’activation.
  • Si la demande concerne un suivi à plus long terme, le JRC lance un appel d’offres rapide auprès de trois consortiums présélectionnés. Il faut donc plusieurs semaines pour que le service se mette en place.

Dans les deux cas de figure, il n’y a pas d’échanges entre les équipes qui réalisent les produits cartographiques et le demandeur, qui peut être surpris de ce qu’il reçoit. Il est donc important de spécifier la demande en amont de la façon la plus précise possible. Risk and Recovery Mapping fournit des produits tels que : des cartes de référence qui présentent les éléments hydrologiques, les réseaux et infrastructures, l’occupation du sol, les limites administratives ; des cartes de situation pré-crise qui qualifient plus précisément l’aléa et la vulnérabilité ; des cartes de situation post-crise, centrées sur l’organisation de la reconstruction des zones sinistrées, le suivi des camps de réfugiés, etc.

Charte internationale ou Copernicus EMS : Comment saisir le COGIC ?

Collectivités et services de l’État peuvent se rapprocher du COGIC et demander des produits cartographiques et des images, si besoin en passant par le SCHAPI sur les questions d’inondations ou via les états-majors de zone. Il est donc important d’avoir identifié le bon contact dans votre structure à l’amont des crises.

Il peut également être utile d’être inscrit sur Copernicus pour accéder aux images. Cette procédure, qui prend 24 à 48 heures (instructions sous ce lien), permet de télécharger les images au fur et à mesure de leur acquisition). C’est également une façon d’être reconnu comme un acteur s’intéressant au spatial. Mais, là encore, la démarche est à faire à l’amont. Une fois que le dialogue est établi, les demandeurs peuvent mieux faire entendre leurs besoins (zones précises, pointage des satellites au pic de crue par exemple) afin que les produits standardisés générés en urgence correspondent au mieux à leurs besoins.

Les critères qui font qu’une demande est recevable ne sont pas totalement explicites. Qu’est ce qui définit l’ampleur du phénomène ? Son extension spatiale ? Sa gravité ? Sa médiatisation ?... De multiples facteurs entrent dans le choix d’activer Copernicus ou la Charte, et ceux-ci sont complètement maîtrisés par le COGIC, unique Utilisateur Autorisé français (par décret du 1er ministre) des deux systèmes, et qui connaît leurs spécificités et atouts respectifs. Tous les services de l’État, tous les ministères, à tous les niveaux territoriaux, peuvent s’adresser au COGIC pour activer ces systèmes pour leurs besoins. Cela a été le cas avec le Ministère de l’Outre-Mer après Irma, pour le MTES dans le cas des inondations sur la Seine et le Loing.

Pour des crises de moindre ampleur qui ne font pas l’objet d’un déclenchement Charte ou Copernicus EMS, des solutions existent afin de mobiliser les ressources satellitaires, mais elles ne sont pas toutes gratuites.

En cas de crise, des solutions alternatives

Les acteurs commerciaux comme Airbus Defence & Space ou Telespazio disposent de services d’accès en urgence aux satellites dont ils assurent les opérations et/ou la commercialisation.

Le service « Instant Tasking » accessible depuis le Geostore d’Airbus Defence & Space permet par exemple de commander des images Pléiades ou SPOT 6/7 qui seront reçues (acquises si le temps le permet) en 7 heures. Par contre, les coûts sont importants (9,20 €/km2 pour SPOT-6, 56 €/km2 pour Pléiades). Il existe en outre un mode d’acquisition prioritaire qui peut fonctionner du jour au lendemain, sur lequel les tarifs réservés aux acteurs publics peuvent s’appliquer.

Telespazio, (filiale de Thales et Finmeccanica), fournit des services d’acquisition d’urgence et de cartographie rapide qui s’appuient sur une dizaine de satellites radar (Cosmo-SkyMed, RadarSat) et optiques (GeoEye-1, WorldView 1 et 2, Ikonos, IRS…).

Des entreprises commerciales se sont spécialisées dans la cartographie en cas de crise comme SIRS, ou comme le SERTIT qui est prestataire dans le cadre de la Charte et de Copernicus EMS. Leur savoir-faire peut également être mobilisé en dehors de ces mécanismes.

Des acquisitions d’images peuvent également être demandées dans le cadre de DINAMIS. Certes, pas 24 heures sur 24 ni en quelques heures, mais elles peuvent être utiles dans le cadre d’analyses a posteriori de crises, de surveillance de zones à risques, etc. (Voir fiche « Accès aux images SPOT 6/7 et Pléiades »)

Il ne faut pas oublier que les images Sentinel-1 et 2 sont acquises en continu et sont mises en ligne très rapidement après leur acquisition sur le Hub Copernicus (moins d’une heure). Avec un peu de chance, un satellite Sentinel sera passé au-dessus de la zone concernée. Ces images Sentinel sont mises également en ligne sur le site PEPS du CNES (voir fiche Copernicus)

Enfin, en cas de déclenchement de la Charte internationale ou de grandes crises (Haïti, Irma…), le groupe Humanitarian OSM Team (HOT) mobilise la communauté des contributeurs OpenStreetMap pour produire en quelques jours des cartes de situation et d’évaluation des dégâts. Bien souvent, ce sont des images satellites Digital Globe à très haute résolution qui sont utilisées. Il peut être intéressant de participer à cette dynamique collaborative qui peut s’avérer très efficace !

Focus : le rôle du Cerema

Le Pôle d’observation de la terre et des applications satellitaires du Cerema à Toulouse, accompagne les acteurs institutionnels pour l’accès à la donnée satellitaire et à son exploitation pour les crises : formation, conseils sur les capteurs à mobiliser, assistance. Il a accompagné les acteurs publics dans la gestion de plusieurs épisodes d’inondations telles que les crues en Haute-Marne et dans l’Yonne de mai 2013 à la demande de services de l’État et collectivités ou celles des Pyrénées de juin 2013, l’Yonne en 2013. À cette occasion, il a mis en évidence l’intérêt des images Pléiades et d’une programmation flexible, de façon à obtenir des images au pic de crue. Il a également participé au retour d‘expérience sur les inondations de l’Aude de 2018 et propose aujourd’hui une méthode pour utiliser les images satellitaires dans la production des indicateurs de vulnérabilité tels que prévus par le référentiel national de vulnérabilité, élaboré en cohérence avec la stratégie nationale de gestion des risques d’inondation (SNGRI).

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